Il est utile de remettre cette exposition dans son contexte : c’est un projet du conservateur en chef de la Bibliothèque départementale de la Somme, qui a été soumis et approuvé par le Directeur du développement culturel du département, David Andrieux, puis censuré par l’instance d’un seul homme, Christian Manable, président du conseil général de la Somme. Nous sommes donc un contexte de fonction publique et nous pouvons supposer que les décisions prises par le président sont, d’une part, au service des concitoyens, et d’autre part, répondent aux missions du service public et en accord avec son personnel. L’unilatéralité de sa décision nous laisse donc perplexe.
Christian Manable se justifie ainsi: « C'est en pleine conscience que j'ai pris cette décision, car j'ai estimé que certains dessins étaient vecteurs d'une image dégradante de la femme et je refuse que la collectivité départementale soutienne une telle approche de la sexualité, qui me semble opposée à nos valeurs d'émancipation. » Parmi les arguments mis en avant, nous avons déjà étudié ceux de la protection de la femme et de la protection des mineurs. Regardons maintenant l’idée de Manable selon laquelle la « collectivité départementale » ne doit pas soutenir un tel projet. Il se défend ainsi : "Je vais passer pour un facho, un pisse-vinaigre, un censeur, alors que ceux qui me connaissent savent que c'est absurde. Je ne vois aucun problème à ce que ces dessins et peintures figurent dans une galerie privée, mais pas dans un lieu du conseil général, avec de l'argent public." Surprenant quand nous savons que l’exposition a été engagée deux années avant son inauguration, plus étonnant quand on sait que la décision de censure a été prise par Christian Manable seul sans consulter ni David Andrieux, ni Hervé Roberti ou Janine Kotwica afin d’avoir des explications sur la démarche du commissariat. Mais Christian Manable ne semble pas faire confiance au discernement de son équipe de professionnels (voir la Lettre de Janine Kotwica).
On se peut se demander à quel point l’argument « service public » entre en compte ici. Plus encore, s’il ne s’agissait pas du dernier argument à mettre en avant tant cette annulation et ses justifications semblent révéler les dysfonctionnements internes des services de la région, aussi assumés soient-ils (Lire à ce sujet l'article du Monde: http://www.lemonde.fr/culture/article/2010/06/03/cachez-ces-dessins-erotiques-qui-heurtent-le-president-du-conseil-general_1367238_3246.html)
Il nous parait tout à fait douteux que Christian Manable ait découvert le propos de l’exposition si peu de temps avant son inauguration, quand on sait, à l’échelle territoriale, les précautions prises et les systèmes de validation à plusieurs échelles par lesquels il faut passer avant de voir un budget, du personnel, des commandes engagés pour un tel projet. Comme le suggère Janine Kotwica dans sa lettre ouverte, le président du conseil général ne se serait-il pas laissé tenter par un « coup de com’ » ?
Et pourtant, dans l’argumentaire de Manable, le fait qu’il s’agisse d’une exposition émanant du service public, revient à plusieurs reprises, notamment par la distinction « lieu du département » / « Galerie privée ». Qu’entend Manable par « culture publique » ? Qu’entend-on généralement par culture publique ? Nous pouvons parler des missions de service public commanditées par le Ministère de la Culture: démocratisation culturelle, « culture pour tous-culture pour chacun », éducation artistique, diffusion et promotion du patrimoine et des nouvelles formes d’art… Mais aucune ligne de programmation culturelle n’a jamais été définie, si ce n’est dans les limites de la loi de 2007 (voir les articles 227-23 et 227-24) qui n’a même pas été évoquée comme argument dans le cas de cette affaire, tant les œuvres exposées sont loin de ce qui y est énoncé. La culture des industries culturelles ou des structures publiques semble identique, ce qui les différencie ne seraient que des valeurs ou des financements.
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