samedi 14 mai 2011

LES ARGUMENTS DE CHRISTIAN MANABLE - La protection des mineurs

La décision de Christian Manable d’interdire l’exposition s’est basée principalement sur le dessin d’Alain Gauthier. 


Alain Gauthier - Le Petit train de ceinture 

L’on peut y observer un sexe imberbe, érotisé par des portes jarretelles dont la ligne du bassin fait office de pont de chemin de fer pour un petit train à vapeur. Nous pourrions nous amuser à analyser en détails les symboles et la composition de ce gentil dessin, mais Christian Manable n’est pas allé si loin, usant de l’argument de la « protection des mineurs » en le citant en exemple lorsqu’il s’est justifié de l’interdiction de l’exposition. L’argument mis en avant : le dessin en question ne permet pas de « faire la distinction entre femme et enfant ». Certes, l’absence de poils pubiens pourrait créer la confusion, mais elle semble être tout autre ici.

Comme nous le savons, il s’agit d’une œuvre pour adultes dessinée par un artiste dont l’activité principale est l’illustration pour la jeunesse. Alain Gauthier semble parfaitement faire la distinction entre ses deux activités, ce qui ne semble pas être le cas de Christian Manable à qui il « a semblé que le rapport entre les œuvres érotiques et leurs auteurs, spécialisés dans l’édition de livres pour enfants, produisait un effet miroir inopportun.» (voir l'article de Libération: http://www.liberation.fr/culture/0101638117-cachez-ces-dessins-que-l-on-ne-saurait-voir)


Si l’on reprend l’illustration, certes, les tons pastels employés peuvent faire penser à ceux d’une chambre d’enfant, le pubis représenté est imberbe, mais pourquoi s’agirait-il pour autant d’un sexe d’enfant ? Les a priori culturels semblent avoir pris le pas sur le jugement de l’accusateur. Pourtant, pensons à la tradition moyenne orientale où les poils pubiens sont très majoritairement épilés (L’Islam les proscrirait). En 1800, Goya peignait pour la première fois dans l’histoire de l’art occidental un duvet pubien sur la Maja Nue. C’est la culture générale de Christian Manable qui est mise à l’épreuve.


En outre, l’argument de la protection des mineurs est bancal pour des raisons plus pragmatiques encore. La bibliothèque départementale d’Amiens n'est pas un lieu qui reçoit du public, encore moins des enfants. « C'est une sorte de "grossiste" qui centralise des livres avant qu'ils ne soient déposés à la consultation dans des bibliobus et bibliothèques publiques.  Le bâtiment de la bibliothèque départementale n’étant visité que par des majeurs, spécialistes etc… ».  De plus, l’exposition ayant lieu pendant les vacances scolaires, elle ne s’inscrit dans aucun cadre pédagogique. S’il avait été évoqué que l'exposition soit utilisée comme outil pédagogique pour les collégiens, l’idée a été abandonnée avant même l’interdiction de Manable. Mais Christian Manable note que l'exposition devait circuler comme outil pédagogique : "C'est inopportun pour les collégiens", dit-il. "Cette idée a été abandonnée", répond Janine Kotwica.


Par ailleurs, la mention « pour adultes seulement » dans le titre de l’exposition est suffisamment explicite pour se suffire à elle-même.
C’est donc l’amalgame que fait Manable entre les dessins érotiques des illustrateurs et l’activité principale pour laquelle ils sont connus qui est au cœur du problème. L’interdiction laisse planer les soupçons de pédophilie ou de perversité sur les illustrateurs… A David Andrieux, se faisant porte parole de Christian Manable de l’assumer ainsi : "le rapport entre les œuvres érotiques et leurs auteurs, spécialisés dans l’édition de livres pour enfants, produisait un effet miroir inopportun (...) Dans ce département, où il y a beaucoup à faire dans le domaine social et où la question de la pédophilie est un sujet extrêmement sensible, il nous a semblé, en tant que collectivité publique, que nous ne devions pas promouvoir cette exposition amenée à circuler dans le réseau des bibliothèques du département, et donc visible par tous les publics." (voir l'article de Libération dans la Bibliographie)


Passée la pudibonderie et la loi de 2007 (articles 227-23 et 227-24) qui fait débat, mentionnons un sujet effectivement audacieux, mais validé en amont par les instances du conseil général. Comme le dit Bruno Heitz dans une interview accordée à la Provence (voir l'article dans la Bibliographie) "Ce n'est pas parce que nous sommes illustrateurs pour enfants que nous n'avons pas de sexualité ! Tous les artistes, qu'ils soient dessinateurs ou photographes, s'aventurent sur ce terrain.". Si l’on pousse à bout l’argument de Manable qui a peur de « l’effet miroir » entre l’activité d’illustrateurs jeunesse des auteurs des dessins exposés, n’est-il pas simplement dédouanant pour les illustrateurs exposés que de témoigner d’une sexualité d’adultes via d’autres de leurs dessins ? La démarche, pleine de bon sens, est saine, tant la distinction « petits/grands » signalée par le titre de l’exposition est explicite. 


Encore faudrait-il ne pas faire la confusion entre la représentation et son auteur…

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